Qu'est-ce un Méchant Réac ?

#Liberté, #Autorité, #Mérite, #Progrès, #Solidarité

 

En 2002, Daniel Lindenberg rédige un essai associant à la fois queques auteurs alors à la mode (Michel Houellebecq, Philippe Murray, Maurice Dantec) et certains de ses collègues du Centre Raymond Aron à l'EHESS (Pierre Manent, Marcel Gauchet): les néo-réacs étaient nés et s'inscrivaient das la lignée progressiste. Dans la même veine, les critiques de l'ultra-gauche ont associé à cette liste des personnalités telles que Christophe Guilly, Laurent Bouvet, Alain Finkielkraut, ou Michèle Tribalat qui défendent le modèle républicain, critiquent le multiculturalisme politique et idéologique et les dérives humanitaires. A n'en pas douter, une de leur plus brillante "progéniture" est Céline Pina.

Ainsi, pour la "tribu néo-réactionnaire", le débat et la réflexion libres sont les maîtres-mots mais tout en "déconn[ant] plus haut que l'époque" (Philippe Muray). Cette tribu se caratérise par son hétéroclisme, la diversité des positionnements politiques, la diversité des trajectoires suivies, des genres pratiqués. Apparaîssent alors les « Méchant Réac ® », terme créé en 2015 par Laurent Sailly.

Les « Méchant Réac ® » ont en commun l’amour des œuvres du passé et de défiance plus ou moins sarcastique à l’égard des valeurs progressistes (ce qui n’en fait pas moins des « jouisseurs » du bienfaits de la modernité). Les « Méchants Réacs ® » du XXIème siècle ont été les premiers (et parfois encore les seuls) à comprendre ce qu’ils voyaient : la menace multiculturaliste et la sécession islamiste, la catastrophe scolaire menacée par le pédagogisme, les attaques contre la laïcité, l’éloignement des « élites » politiques, la désintégration des corps intermédiaires…

Les « Méchants Réacs ® » font partis de cette arc politique qui résiste à l’idéologie pour ne considérer que les réalités (par exemple, la théorie du genre, dont la démonstration de sa fausseté a été établie). Il existe un certain nombre de fondamentaux sociaux, acquis de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie : l’Etat, la famille, l’intérêt général, la nécessité d’un certain ordre économique, etc. Ils constatent que, si le progrès scientifique ou techniques sont irrécusables, en matière de pédagogie, de politique, et même d’économie, il n’y a pas de véritable progrès.

Ils luttent contre le politiquement correct et la doxa progressiste : les lobbies associatifs et communautaires, les islamo-gauchistes, les féministes exacerbées, les prétendus antiracistes, les égalitaristes dogmatiques… Les « Méchants Réacs ® » veulent le retour de l’art de la conversation publique et du débat démocratique, issue de la tradition littéraire et intellectuelle française. Ainsi, le « Méchant Réac ® » n’use jamais de l’insulte, ne méprise aucune idée (au contraire, il est même volontiers « voltairien »), et s’exprime à visage découvert. Le « Méchant Réac ® » sort grandi ainsi de son combat avec ses opposants qui, pour se donner une contenance à défaut d’une consistance, le « diabolise » en le stigmatisant : néofasciste, crypto-vichyste, lepéniste… On intimide, on terrorise, on menace… Il y a près de 60 ans Albert Camus regrettait que le XXème siècle soit celui « de la polémique et de l’insulte » où « l’adversaire [est un] ennemi (…) Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivions plus dans un monde d’hommes, mais dans un monde de silhouettes ». Ce monde n’est-il pas encore le nôtre ?

Les « Méchants Réacs ® » restent la cible des sartristes. N’oublions pas que Raymond Aron, dans les années 1950, était traité de « fasciste » par ses ennemis installés dans le bon camp d’alors, celui du prolétariat (les staliniens français). Albert Camus a lutté toute sa vie contre les journaux qui se déchaînaient contre ses livres, coupables de dire la vérité en un temps où l’on préférait le mensonge avec Jean-Paul Sartre. Ainsi, les « Méchants Réacs ® » ont en commun la lutte contre la bêtise qui, pour beaucoup « tient lieu de l’honnêteté » (André Suarès).

Une petite histoire des droites françaises

Durant des décennies, la droite a été considérée comme une. La montée en puissance du Front national (devenu Rassemblement national), dans la seconde partie des années 1980, a modifié cette approche en mettant l’extrême droite en regard de la droite.

Les divisions à droite sont anciennes, profondes et récurrentes. Les travaux historiques ont largement insisté sur la pluralité des droites en France, pour reprendre le titre du livre de René Rémond, Les Droites en France. L’historien insistait sur l’existence de trois familles structurant le paysage politique à droite depuis 1815 : les légitimistes (ou traditionalistes), les bonapartistes et les orléanistes. Pour Rémond, la famille nationaliste était considérée comme un avatar du bonapartisme.

Mais dans La Droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914, un ouvrage publié en 1978, Zeev Sternhell distinguait une quatrième droite : une droite révolutionnaire préfasciste indépendante de la famille bonapartiste.

En 2017, dans Histoire des droites en France de 1815 à nos jours, l’historien Gilles Richard distingue huit familles : les légitimistes, les orléanistes, les bonapartistes, les républicains libéraux, les nationalistes, les démo­crates-chrétiens, les agrariens et les gaullistes. On s’étonnera de l’absence des conservateurs mis sur la touche par les droites françaises elles-mêmes depuis la fin du XIXe siècle. Pourtant ils constituent bien une neuvième famille.

Il n’existe pas aujourd’hui à droite de consensus sur la relation qui doit être établie entre nation et construction européenne, nation et mondialisation. Si le point de départ de l’histoire de la gauche est l’égalité, on ne peut réduire la droite à l’opposition à celle-ci. On a souvent vu les droites relever la tête dès l’instant où elles ont pu largement se fédérer autour d’un dirigeant, un chef doté d’un projet susceptible de transcender des clivages existants et d’apporter des réponses aux enjeux brûlants du temps.

 

Paragraphe largement inspiré par : Les grands textes de la droite et de la gauche lepoint.fr ; ainsi que par Qu’est-ce un Méchant Réac ? | Méchant Réac ! le site mechantreac.fr.

Philippe d’Iribarne: «Aux racines de la dislocation des droites»

La droite classique faisait coexister trois sensibilités différentes, bonapartiste, légitimiste et orléaniste, selon la célèbre typologie de l’historien René Rémond. Elle a éclaté sous nos yeux lors de l’élection présidentielle. Dans un texte d’une parfaite clarté, le grand sociologue explique les causes d’un tel bouleversement.

 

L’effondrement brutal, à l’occasion de l’élection présidentielle, du parti Les Républicains, succédant à celle du Parti socialiste en 2017, intrigue, tout comme la recomposition des forces politiques qui est en cours. Il est tentant de s’en tenir, pour expliquer ces phénomènes, à des questions de personnes, aux prestations de Valérie Pécresse au cours de sa campagne ou à l’habileté avec laquelle Emmanuel Macron a siphonné sa droite après sa gauche. Mais la transformation du paysage politique met en jeu des phénomènes beaucoup plus profonds.

Concernant le parti Les Républicains il paraît fort utile, pour la comprendre, de partir de l’analyse classique de René Rémond, opposant trois droites, respectivement légitimiste, orléaniste et bonapartiste, et de considérer le bouleversement des conditions de leur alliance séculaire.

La droite légitimiste est attachée à la France éternelle, à la continuité d’une histoire au-delà des régimes politiques qui se succèdent, à un patrimoine à la fois matériel et symbolique, à des traditions ancrées dans une mémoire longue. Imprégnée de culture catholique, elle défend la famille dans sa forme classique. La droite orléaniste privilégie le dynamisme économique et la possibilité pour ceux qui en ont le goût et les capacités de s’enrichir sans subir trop de contraintes de l’État ni souffrir des «partageux». La droite bonapartiste croit à la grandeur de la nation et de l’État, à la République, au rayonnement de la France, à sa place dans le concert des puissances, à l’excellence scolaire et à la méritocratie.

Depuis le XIX siècle, ces trois droites n’ont jamais eu une grande estime, voire ont eu un certain mépris, les unes pour les autres. Mais elles ont longtemps eu un intérêt puissant à s’allier pour conquérir le pouvoir et gouverner. Elles n’avaient pas de mal à s’entendre sur la nature de l’ordre que toutes trois voulaient construire. Certes, la droite orléaniste était libérale tant qu’il s’agissait du fonctionnement interne de l’économie, mais elle comptait sur un État fort pour mener des politiques protectionnistes et pour accorder des concessions à des monopoles privés ainsi mis à l’abri de la concurrence.

Elle s’accordait donc avec la droite bonapartiste pour défendre l’État. Par ailleurs elle comptait, non sans cynisme, sur le respect d’un ordre moral par le petit peuple pour fournir aux entreprises une main-d’œuvre disciplinée et assurer l’ordre dans la rue. À ce titre elle avait de bonnes raisons de s’entendre avec la droite légitimiste qui promouvait un tel ordre. Et si cette dernière, comme la droite bonapartiste, trouvait la droite orléaniste attachée à des idéaux bien mesquins, elle avait besoin de son alliance pour accéder au pouvoir.

Avec l’avènement de la construction européenne et le développement d’un libre-échange à l’échelle de la planète, cette alliance est devenue problématique. Certes, les diverses droites sont toujours attachées à l’idée d’ordre, mais elles ont des conceptions de plus en plus radicalement différentes de quel type d’ordre. Pour la droite orléaniste il ne s’agit plus d’un ordre national, fondé sur un État fort, la souveraineté du peuple et un ordre moral. Elle compte sur un ordre méta-national fondé sur un droit qui encadre des rapports librement conclus entre les acteurs économiques et sur une justice qui veille au respect de ces accords. L’Europe est essentielle pour elle, dans sa capacité de négocier de puissance à puissance l’organisation de l’économie internationale. Pour cette droite orléaniste, les autres droites, qui non seulement ne sont pas attachées à l’édification d’un ordre supranational mais cherchent même à l’affaiblir au nom de la souveraineté du peuple dans le cadre d’États-nations, ne sont plus des partenaires naturels.

Si l’alliance des trois droites a encore paru solide au temps du général de Gaulle et même de Georges Pompidou, avec une alliance dominante entre les droites bonapartiste et légitimiste, la droite orléaniste s’est fortement affirmée au cours du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Des formes multiples d’association entre les diverses droites sont apparues avec Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy. Celui-ci a tenté une synthèse qui a suscité moult débat entre le «travailler plus pour gagner plus» orléaniste d’un côté et «l’identité française» légitimiste de l’autre.

Et la haute figure du Général, sorte de statue du commandeur, rendait difficile à l’intérieur de la droite l’émergence d’un champion décomplexé de la seule droite orléaniste. Le succès de François Fillon lors de la primaire des Républicains en 2017 a encore montré les limites de l’emprise de cette droite sur le parti. Elle restait engluée dans une famille où elle se sentait mal.

Pour elle, la sortie de ce marasme est enfin venue en 2017, mais de l’extérieur de la droite. La gauche avait bougé elle aussi. Une nouvelle gauche était progressivement apparue, là encore non sans rapports avec l’émergence de l’Union européenne et la montée, alimentée par l’échec des régimes communistes, de la croyance dans les vertus d’une économie de marché. Michel Rocard, puis Lionel Jospin, ont hautement affirmé que le progrès social est étroitement dépendant du progrès économique, et que celui-ci exige un large respect des disciplines du marché. Le règne de François Mitterrand a été une grande époque de dérégulation financière.

Une esquisse d’alliance de cette gauche avec la droite orléaniste s’est même produite en 2008 avec la participation d’une partie des socialistes à la ratification par voie parlementaire du traité de Lisbonne, après le succès du non au référendum portant sur le projet de traité constitutionnel européen de 2005. Ce mouvement, favorable au libéralisme économique, s’est radicalisé sous François Hollande, avec la grande étape de la loi El Khomri, visant à soumettre plus étroitement le sort des travailleurs aux exigences de compétitivité des entreprises. Pendant ce temps, une nouvelle conception de ce que veut dire être à gauche a émergé, avec l’avènement d’une gauche diversitaire, attachée à la défense de toutes les «minorités», homosexuel, immigrés, etc. Le mariage pour tous a été la grande réalisation du quinquennat Hollande.

Ces évolutions ont ouvert la voie à une recomposition politique radicale. La droite orléaniste et la gauche diversitaire ont en fait beaucoup en commun, mis à part les labels traditionnels de droite et de gauche, avec de solides raisons de faire cause commune. Elles sont marquées par le même ethos, c’est-à-dire la même attitude générale devant l’existence. Pour l’une et l’autre il est malvenu de trop prêter attention à ce qui différencie les humains, l’une parce que, croit-elle, la question n’est pas pertinente quand il s’agit d’acheter et de vendre, l’autre parce que cela ouvre la porte aux discriminations.

Certes les priorités des deux courants diffèrent, mais elles ne se heurtent pas. Ainsi, les questions concernant l’avortement et la fin de vie laissent froid la droite orléaniste alors qu’elles sont très sensibles pour la droite légitimiste. De plus, les deux courants ignorent l’attachement à une patrie chère aux droites légitimiste et bonapartiste. La droite orléaniste trouve cet attachement vieux jeu, à la limite du ridicule, et la gauche diversitaire y voit un obstacle à l’avènement d’une société pleinement inclusive. De même l’un et l’autre se rejoignent pour regarder la puissance de l’État comme une menace pour les libertés. Ils ont tout pour s’entendre.

C’est dans ce contexte qu’est apparue, avec Emmanuel Macron, une nouvelle offre politique répondant enfin aux attentes de la droite orléaniste, tout en y ajoutant une touche de gauche diversitaire. Emmanuel Macron est un parfait représentant d’une vraie droite orléaniste. C’est la France qui gagne qui l’intéresse et qu’il veut soutenir. Il n’a pas craint, au début de son premier quinquennat, d’affirmer que les chômeurs n’ont qu’à traverser la rue pour trouver un emploi. Il taxe le patrimoine immobilier, cher à la droite légitimiste, et détaxe le patrimoine mobilier. Il affirme qu’il n’y a pas de culture française. Il déclare, à Alger, pendant la campagne présidentielle de 2017, que la colonisation française a été un «crime contre l’humanité».

Sans être à la pointe des combats que mène la gauche diversitaire, il n’y est pas hostile. Ainsi il déclare volontiers que la France est riche de sa diversité ethnique et n’a aucun problème avec l’islam. On peut supposer que c’est avec l’aval du chef de l’État que Richard Ferrand, Président de l’Assemblée, a déclaré que la grande cause du prochain quinquennat serait le droit de «mourir dans la dignité».Pendant que cette recomposition, parfaitement logique, s’est produite, l’ancienne alliance des trois familles de droite s’est trouvée à la peine. Cela est déjà apparu lors des élections européennes de 2019 quand François-Xavier Bellamy, clair représentant de la droite légitimiste a conduit la liste des Républicains. Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, sortes de porte-drapeaux des droites respectivement bonapartiste et orléaniste, ont alors quitté le parti. La tentative de retrouvailles à l’occasion de l’élection présidentielle pouvait difficilement réussir.

En rejetant François-Xavier Bellamy, Valérie Pécresse a tout fait pour s’aliéner, sans doute de façon durable, la droite légitimiste. Puis, dans sa campagne électorale, reprenant les thèmes d’Éric Ciotti, elle s’est aliénée sa famille d’origine, la droite orléaniste. On comprend que l’électorat sur lequel elle comptait se soit largement tourné d’un côté vers Éric Zemmour, qui s’est hautement affirmé comme un champion de la France éternelle, et de l’autre vers Emmanuel Macron.

Cette recomposition va-t-elle durer? Il est difficile de le prévoir. Elle a sûrement été facilitée par la personnalité d’Emmanuel Macron, le fait que sa vision du monde se trouve précisément au point de jonction entre celles de la droite orléaniste et de la gauche diversitaire. L’alliance de ces deux forces éclatera-t-elle avec son départ du pouvoir? Une grande figure peut-elle émerger, capable de fédérer, sur des bases renouvelées, l’alliance entre les trois droites? Cela sera sans doute possible si la droite orléaniste se rend compte, à l’expérience, que son association avec la gauche diversitaire conduit à un tel niveau de contestation sociale que l’ordre dans la rue est menacé malgré des dépenses sociales -et des prélèvements obligatoires pour les financer- qui demeurent parmi les plus élevés des pays industrialisés.

Une fois que Marine Le Pen aura quitté la scène, une nouvelle alliance, unissant ceux qu’elle a déçus aux droites légitimiste et bonapartiste, dans une sorte de camp des patriotes, se dessinera-t-elle? Une gauche renouvelée, rejetant celle qui, ralliant Emmanuel Macron, a trahi les vraies valeurs de la gauche aux yeux de ses détracteurs, va-t-elle émerger autour d’une gauche tribunitienne? Bien des avenirs paraissent possibles.

 

De manière plus immédiate, la question des élections législatives est devant nous. À l’occasion des élections régionales de 2021, le contraste entre l’échelle nationale et l’échelle régionale et locale a été spectaculaire. L’excellente performance du Parti socialiste, alors qu’il était déjà en débandade sur la scène nationale, a particulièrement frappé.

À droite des représentants de chacune des trois familles, orléaniste en Île-de-France, bonapartiste dans les Hauts-de-France, légitimiste en Auvergne-Rhône-Alpes, ont largement triomphé en rassemblant l’ensemble de la droite, chacun tirant parti de la sociologie des soutiens de celle-ci au sein de sa région. C’est que les logiques qui sont à l’œuvre ne sont pas les mêmes qu’à l’échelle nationale. Ceux qui votent pour un responsable local n’en attendent pas qu’il décide de l’avenir de la France et se soucient souvent plus de sa capacité de gestionnaire que de son idéologie. Quant aux députés, ils contribuent certes ensemble, mais chacun si peu, aux grandes orientations de la politique nationale, et il est beaucoup attendu d’eux qu’ils soient efficaces dans leur circonscription. Il n’est pas sûr que, dans ce rôle, leur tendance orléaniste, bonapartiste ou légitimiste compte beaucoup et que la majorité des députés du Parti républicain soient condamnés à perdre leur siège.

Philippe d’Iribarne: «Aux racines de la dislocation des droites» (lefigaro.fr)